SHAKE#1
ITV PAPI

 

 

GILLES : Tu es de quelle ethnie ?
PAPI :Moi je suis Malien d’ethnie Malenké.
Tu es de quel quartier de Bamako ?
Je suis en plein centre de Bamako à Bamako 3 Un quartier qui est très populaire, ou 80% sont pauvres et 20% se démerdent pas mal.
Et tes parents ils font quelle profession ?
Ma mère, elle travaille pas, elle s’occupe de la maison comme beaucoup de femmes africaines. Et mon père travaille au Ministère des Anciens Combattants.
Combien vous êtes de frères et sœurs ?
4 garçons et 2 filles, on vit tous ensemble.
Tu viens d’une famille aisée ?
Non pas du tout, mes parents se sont toujours débrouillés pour qu’on n'ait pas faim tout ça, mais on est assez pauvres… Au Mali quand tu viens d’une famille pauvre tu fais forcément des petits boulots, moi pendant les vacances je vendais des cigarettes, ou bien je réparais les chaussures des gens, je réparais les chaises, j’ai même vendu de l’eau, je bricolais quoi...
À quel âge as-tu commencé à danser ?
Peut être 5 ou 6 ans, un truc comme ça
Tu danses toujours ?
Aujourd’hui je vis de la danse en fait !
Et quand on a tourné ce film ?
Non, à l’époque ce n’était vraiment pas encore le cas...
Comment ça a commencé ?
Au départ, quand je dansais, depuis tout petit, c’était sur les musiques qui étaient les plus populaires comme les musiques traditionnelles, le Coupé-Décalé, les musiques ivoiriennes traditionnelles, c’est ce qui était le plus à la mode à Bamako. En fait c’était d’abord en famille et c’était pas du Hip-Hop. Après j’ai connu des gars, on dansait ensemble dans les shows de la rue les  Balani , on dansait ensemble et notre groupe est devenu les Dog Men G . Puis le rap est devenu à la mode à Bamako et on a commencé à faire du Hip-Hop. Et puis on a vu des films de battles. Et ça, ça nous a vraiment plu. Et puis on a appris et on a dérivé là dedans.
Et les Balanis c’est quoi ?
Les Balanis c’est des shows de rue en fait c’est les block party maliennes. Dans la rue les jeunes s’organisent, ils louent le matos, ils louent des chaises et ils organisent un show de danse dans la rue.
Ca t’as fait ça très tôt ? Enfant tu faisais déjà ça ?
Ouais, j’ai commencé à faire ça vers 10 ans…
On a tout de suite vu des similitudes en fait , entre les pas des danses traditionnelles de chez nous et les pas de danse urbaine ou de danse Hip Hop, par exemple dans le break dance lors de la phase de préparation, les breakers ils font un pas qui s’appelle le Top Rock, ça ressemble tellement au pas de danse des chasseurs de chez nous, parce que les chasseurs ont leur danse à part, c’est comme s’il avait été inspiré du pas des chasseurs. Et comme pour ce pas il y a plein de pas qui ont une ressemblance même par rapport à la House Dance, au Break, au Krump...

Qui étaient tes inspirations ? Tu avais des modèles ?
C’est la télé qui m’inspirait et j’essayais de refaire ce que je voyais, les pas... Il n’y avait pas d’internet à l’époque au Mali. Après quand tu rencontres d’autres danseurs, ça devient la concurrence et tu fais tout ce que tu peux pour être le meilleur en fait. Cette concurrence, ça pousse à te dépasser. Moi je dansais seul, puis on se regroupait pour des occasions ou des concours. Puis la danse elle a évolué chorégraphiquement à travers la danse Hip -Hop. En 2008, 2009 on s’est organisés, structurés.
Tu penses que votre identité, elle est particulière pour quoi ? Est ce que tu avais conscience de cette différence ?
On a notre originalité dans notre hip-hop en fait. Nous, on a un hip-hop un peu afro tu vois, donc on a tous une identité.
On était conscients de ça déjà parce que chaque fois on se disait que pour créer quelque chose soi-même, pour être quelqu’un de créatif, pour être authentique dans ton style pour avoir ton propre style, il faut créer un truc d’original. La danse Hip-Hop c’est une danse urbaine mais elle est pas de chez nous, c’est une danse qu’on a apprise, mais cette danse elle est venue trouver un potentiel qu’on avait déjà. Et le feeling et le potentiel qu’on avait déjà dans la danse traditionnelle on l’a mélangé, on l’a métissé avec le Hip-Hop. On a créé quelque chose de nouveau avec ça. Et c’est avec ça qu’on a créé Le Cri des Chiens. Parce qu'à la base, on a nommé notre grin Dog Men G et quand on nous demandait ce que voulait dire Dog Men G, on disait que ça voulait dire  "Les hommes chiens du ghetto", et les gens nous demandaient : »pourquoi les hommes chiens du ghetto » alors on répondait : » nous on est des jeunes du ghetto qui expriment leur rage ». Du coup on a créé Le Cri des Chiens.
C’est nous aussi qui tenons le fil conducteur avec la danse hip hop ici pour qu’elle ne meure pas Depuis un certain temps, la danse à chuté à Bamako, Il y a des gens qui ont voulu en faire un business sur notre dos et nous on gagnait rien, alors on s’est retirés un peu. Alors qu’il y a plein de danseurs qui ont du potentiel et du talent mais qui ne savent pas comment s’exprimer. Du coup à partir de 2012 on a décidé d’organiser tous les 3 mois une scène gratuitement dans la rue. On fait un Battle et on remet des prix aux danseurs. Et ça, ça a ramené du mouvement. La population a besoin de ça pour changer ... pour changer de mentalité, pour savoir ce qu’il se passe dans le monde... La majorité de la population est pauvre et quand c’est ce genre de trucs gratuits dans la rue, ça fait évoluer les gens...

D’où vient ce besoin de danser ?
Au début je savais pas pourquoi j’aimais autant danser. J’aimais grave grave danser. Quand je dansais j’étais très heureux... Et même quand j’étais énervé la danse c’était la seule chose qui me faisait m’évader de mes soucis. Écouter de la musique et danser. Et puis quand je danse je sais que j’existe. Quand je danse je me sens important...
Dans ma vie, la danse m’a vraiment beaucoup apporté. Le fait même que la danse m’a permis de ne plus passer mes journées assis au grin à rien faire. La danse m’a mis en activité, m’a rendu très actif en fait... La danse me faisait me dire que dans ma journée j’avais quelque chose à faire, il fallait m’entrainer...
J’ai fait que danser. ...Mais c’était chaud dans ma famille parce qu’en Afrique, la danse c’est pas quelque chose de noble. À un certain âge on te dit d’arrêter de danser, Et moi j’ai aimé la danse et comme j’étais à fond, à fond dans la danse... Il y a eu plusieurs menaces de la part de ma famille : " Si tu danses qui va te donner une fille à marier ? Tu ne peux pas vivre de la danse, tu vas vieillir ". J’ai vraiment galéré, ma famille m’a vraiment mis la pression. Moi, mais les autres danseurs aussi. Ca m’a mis en rupture et j’ai des oncles et tantes dans la famille avec qui je ne m’entends plus à cause de la danse. Ils me disaient à chaque fois : "Maintenant arrête de danser et va travailler ! ".
Nous, notre combat c’est de montrer qu’il y a moyen de vivre de la danse et que c’est un art avec lequel on peut vivre.
Au début, mon père voulait pas que je danse. Puis quand il s’est aperçu que ç’était ce que j’aimais et que je pouvais en vivre, ça s’est un peu débloqué. Le fait de pouvoir voir que l’on peut vivre de sa passion, de son art en fait.
Même pour les musiciens ça craint, mais il y a des stars tout ça... Alors que nous les danseurs, on n'a pas eu de grands frères qui ont été exemplaires dans la danse. On peut dire qu’on est les premiers danseurs Hip-Hop de Bamako, on est la première génération. Et ça c’est très chaud.

Pendant combien d’années ça a été compliqué ?
En gros entre 2004 et 2011. c’était très très compliqué.
La guerre, le coup d’état, qu’est ce que ça a changé pour vous ?
Les évènements, la guerre ça a changé plein de choses dans le mauvais sens. Et rien n’a changé, par exemple au niveau de la corruption... Et avec la guerre, tout ça a empiré en fait.. Le coup d’état n’a fait qu’empirer les choses et au Nord, les rebelles et les jihadistes en ont profité pour prendre des territoires maliens.
Qu’est ce que la guerre a changé dans ta vie, dans ta façon de danser ?
L’influence sur ma vie c’est que…..tu sais, il y a toujours eu une guerre quelque part dans le monde, Et quand tu entends parler d’une guerre c’est vrai que ça te fait de la peine, mais tu sais pas à quel point c’est grave... Tu sais pas à quel point ça détruit et ça déstabilise un pays en fait... Parce que ça se passe pas chez toi, tu le sens pas de près. Mais là j’ai vu vraiment comment ça peu mettre un pays en retard en fait. C’est ça que j’ai senti...
Cette guerre, on a commencé à l’exprimer dans notre nouvelle création qui s’appelle  Sigii Yôrô, qui veut dire « Ta position ». Parce que le problème des jeunes c’est qu’ils n’ont pas de position. Il ne savent pas ce qu’ils veulent en vrai... Et ce spectacle, il parlera vraiment de la guerre du Nord et de nous.
Il y a eu beaucoup beaucoup de réfugiés. Le problème c’est qu’on comprenait mal la situation, on disait que les rebelles au Nord c’étaient des Touaregs alors les gens ont mal accueilli les réfugiés du nord. Et les Touaregs étaient mal vus. Mais les gens ont compris que les rebelles étaient justes des bandits armés. Les Touaregs qui sont réfugiés autour de nous c’est des frères comme nous.

Comment imagines-tu ton avenir ?
J’imagine mon avenir dans la danse, J’ai essayé de me former en danse classique et contemporaine. La danse c’est la danse !... Et j’essaie aussi de devenir chorégraphe. Puis je donne des cours de danse dans des lycées. On essaye aussi de former les jeunes. C’est sûr je veux faire de ça ma vie. Après on sait jamais ce que l’avenir nous réserve.
Quand j’ai vu une possibilité je me suis engouffré dedans... Mais je ne savais pas que j’en vivrais un jour, mais quand je voyage je profite du voyage, je ne pense pas à la destination... Ce que j’ai appris dans la danse c’est que le plaisir du voyage est plus important que la destination.
A quoi te fait penser ce film que nous avons tourné ensemble et qu’est ce qu’il t’a apporté ? Est ce qu’il t’a encouragé ?
Bien sûr!…ça m’a encouragé!... et c’était une putain d’expérience en tant que danseur, en tant que quelqu’un qui aime danser…On vient te voir et on te dis : "Tiens je voudrais faire un court métrage, un petit film sur toi sur ta danse" ; ça te rend fier par rapport à ce que tu fais. Ca te pousse encore à aller de l’avant.
Ce que ce film m’a apporté c’est que ça m’a vraiment, vraiment donné le goût de danser plus encore et ça m’a boosté pour encore plus m’aventurer dans cette danse là. Ça m’a permis de danser plus, de bosser. plus... De me dire qu’il y a moyen d’évoluer encore plus pour faire d’autres projets.

Elle est où ta différence ?
Ce que je fais différemment des autres pour moi, c’est par rapport à mon Krump. Quand j’ai
découvert le Krump par le film Rize, ça m’a vraiment inspiré, quand j’ai vu que ces gens qui
dansaient avaient à peu près les mêmes problèmes que moi. La manière dont ça les faisait fuir de leurs soucis, ça faisait la même chose sur moi. Donc moi j’ai pris ma danse... j’ai utilisé cette rage là, parce que j’étais un danseur plus dynamique, qui était plus dans l’énergie. Donc cette énergie je l’ai mise dans toutes les danses que je faisais. Et après le Krump a évolué, il est devenu plus technique que rageux. Mais moi j’ai pas changé ma façon de krumper : dans le style, dans l’énergie, dans la rage... Mais ce qui me rend différent, c’est que je cherche pas trop trop la technique. J’envoie! Et plus j’envoie, plus je crée des trucs que j’ai jamais faits. Pour moi, c’est dans l’esprit et dans l’énergie que ça se passe... Parce que moi le krump quand je le fais, je me dis que c’est un truc plus spirituel. Donc quand je danse, souvent je danse avec une rage. Il faut que je sois un peu énervé, Il faut que je pense à quelque chose qui me fait très mal dans ma vie, qui me choque, tu vois , pour bien m’exprimer... Et à chaque fois que j’arrive à faire ça je suis content , et les gens apprécient vraiment ce que je fais...

Et quand on a tourné le film tu pensais à quoi ?
Je pensais à cette vie que je choisissais et en laquelle ma famille n’avait pas confiance. Et j’étais vraiment dans un travail pour leur faire comprendre. Et pour qu’ils acceptent. J’avais cette rage là.
Le fait de danser sans musique qu’est ce que ça t’as évoqué?
C’est un truc très différent c’est clair, en tant que danseur la musique elle peut t’inspirer et t’emmener vers d’autres trucs et là c’était pas le cas, quand tu m’as demandé de danser sans musique c’était genre  "Papi vas-y exprime-toi !" Du coup t’es plus libre, les krumpers ont pas vraiment besoin de rythme pour savoir si c’est sur le  "peuh" ou le  "cla" que je vais danser ; un krumper, il peut danser sur des voix …et quand tu m’as dit de krumper sans musique quand j’ai commencé, et je sais pas si tu te rappelles mais il y avait le battement, tu sais... les tapeurs de bazin, quand j’ai entendu ça c’était comme si, par rapport à où j’étais par rapport à comment je me sentais c’est comme si j’étais prisonnier de quelque chose et que j’ai envie de m’en sortir, je suis esclave et j’ai envie de m’en sortir, j’entends les battements partout qui tapent sur mon dos, qui tapent sur les dos de mes proches, et ça ça m’emmenait encore plus loin et ça me permettait d’aller plus profond et de danser plus en fait…

Peux tu me parler de la communication à travers la danse?
D’où que tu viennes et qui que tu sois par rapport à la danse hip hop on a comme un même langage et on se comprend très très bien... Quand je rencontrais d’autres danseurs, je n’arrivais pas en me présentant : » Ouaip moi c’est Papi K je viens du Mali !!  ». C’est pas comme ça que ça se passe. Si tu veux t’exprimer, si tu veux communiquer avec eux, tu n’as qu’à rentrer dans le cercle en fait. Et c’est ta danse qui va te présenter et dire qui tu es...

papi
`Interview / Photo : Gilles Cabau